QMM, la seconde plus grande mine de Madagascar, vient de passer ses activités en “service minimum”, depuis le 2 décembre. La filiale de Rio Tinto réagit ainsi à des menaces de manifestations, et de coupure de route entre ses différentes structures autour de la ville de Fort Dauphin.
C’est un mauvais signal pour le monde du business à Madagascar et une mauvaise nouvelle pour les finances publiques. QMM étant un grand contributeur fiscal et douanier. La société doit d’ailleurs renégocier sa convention fiscale d’ici février, date de la fin de l’accord signé en 1998…
Le 28 novembre, le QMM a donc reçu un préavis de 72 heures en vue de manifestations susceptibles d’entraver la libre-circulation des personnes et des biens sur la voie publique menant à Mandena où se trouve le site minier de QMM. Le même jour, David-Alexandre Tremblay, directeur général de QMM SA a émis une lettre de préavis de suspension des opérations, qui a fuité sur Facebook et dont nous avons pu vérifier la provenance.
Dans cette missive, QMM rappelle que, depuis quelques mois, des tensions sécuritaires extérieures aux installations et au corps social de QMM perturbent sérieusement le bon déroulement des activités. Ces tensions « mettent régulièrement en péril la santé et la sécurité des employés de QMM, ainsi que celles des contractants et des communautés avoisinantes, et de l’intégrité de nos installations », peut-on lire sur cette lettre.
Toujours dans cette lettre, le QMM fait savoir que même en présence de ces tensions, le dialogue a été priorisé et a été basé sur quatre principes : “le respect de la loi, des droits de chaque partie, le respect mutuel et recherche de solutions durables”. L’objectif de QMM serait de poursuivre les objectifs de croissance dans la région Anosy tout en préservant la paix sociale et en œuvrant pour des solutions durables.
Un conflit plus ancien…
Pour comprendre la situation actuelle, il faut revenir au mois de mars. Des poissons morts sont découverts non loin d’un endroit où QMM a procédé, avec l’autorisation des autorités malagasy, à un relâchement d’eaux usées, mais normalement non polluées.
Les pêcheurs et des autorités locales accusent alors QMM d’être le responsable de l’empoisonnement de l’eau. QMM dément. Les autorités interdisent aux pêcheurs de pêcher pour protéger leur santé. Ce qui provoque une crise sociale par manque de moyens de subsistance. Une étude est menée par la partie malgache mais les résultats n’ont jamais été publiés.
S’ensuivent des heurts et des émeutes contre les installations de QMM. Déjà, la société suspend une partie de ses activités. Le 20 mai, un accord est signé avec les communautés, et les autorités politiques locales. “Six zébus sacrifiés, 250 sacs de riz distribués par QMM aux communautés dès ce dimanche : grâce à ce premier geste, les manifestants ont levé dans la foulée le barrage de pierre qui bloquait l’unique route du site,” comme le notait RFI à l’époque. L’accord prévoit des aides alimentaires d’urgence et la mise en place d’une commission pour évaluer les doléances des locaux.
“Des guichets uniques ont été déployés dans les trois communes voisines de notre site minier du 1er au 30 juin. En tout, 8778 doléances ont été collectées”, explique la société, contactée par les Nouvelles. “Par souci de transparence et d’inclusivité, ces doléances ont été traitées collectivement au sein de commissions spéciales et multipartites composées du gouvernorat, les leaders des manifestants, de chefs traditionnels, des assistants parlementaires des députés de Taolagnaro, des services techniques déconcentrés concernés.”
Début octobre, “à l’issue d’une analyse des doléances à la lumière de critères d’éligibilité, là aussi collectivement définis et conformes aux dispositions du code minier et du Plan de Gestion Environnemental et Social (PGES) de QMM, les plaignants ont été notifiés individuellement des résultats de leurs doléances. En tout, près de 50% des doléances ont été jugées recevables, essentiellement celles des pêcheurs et des usufruitiers”, poursuit la société. “Aujourd’hui les désaccords se concentrent principalement sur le foncier concernant les occupants traditionnels”, explique QMM.
Les discussions foncières autour de QMM ne datent pas d’hier. De 2012 à 2016, l’entreprise, avec l’appui des autorités locales, traditionnelles, des associations d’occupants traditionnels, des chefs coutumiers et d’organisations de la société civile reconnues en la matière, a mené un processus d’identification des occupants traditionnels, comme exigé par le Code minier. QMM reprend : “Ce processus de plus de quatre ans a conduit à la compensation des occupants traditionnels identifiés au sein d’une Convention Cadre signée par l’ensemble des parties prenantes. Par ailleurs, QMM paye déjà des redevances à l’Etat sur le terrain aujourd’hui revendiqué par les plaignants. Il est à noter également que ces parcelles sont les mêmes revendiquées elles aussi par les usufruitiers.”
En revanche, les plaignants d’aujourd’hui déplorent le montant insuffisant des indemnisations, et il y aurait aussi de nouveaux plaignants, que la société refuse, pour l’heure, de reconnaître. “Aucun des occupants traditionnels identifiés à l’issue du processus de 4 ans ne fait partie des plaignants actuels”, remarque QMM.
Sur place, ces derniers jours nous avons cherché à prendre quelques avis, parmi la population. Un habitant de Fort-Dauphin estime ainsi : “Ce n’est pas nouveau ! Nous avons tous vu qu’on a retrouvé des poissons morts à cause de cet incident. Des gens qui se sont baignés sur ce cours d’eau ont également eu des problèmes de santé. Apparemment, des analyses ont été effectuées à Antananarivo et entre-temps, nous avons eu l’impression que tout est rentré dans l’ordre mais dans tous les cas, on ne nous a rien signalé sur les résultats de ces tests ou peut être qu’ils n’ont pas assez communiqué”. Il poursuit : « L’installation de QMM commence à nous porter préjudice. Nous avons l’impression que le site s’agrandit et gagne du terrain. De plus, nous avons été indemnisés mais faiblement et d’autres n’ont pas été indemnisés du tout”. Une déclaration qui fait écho au problème foncier.
Cependant, d’après toujours les dires de ce riverains, l’hostilité envers QMM n’est pas pour autant généralisée. Il y a une partie de la population qui est « pour » et d’autres qui sont « contre ». QMM contribue fortement à l’économie locale avec 2 000 emplois directs locaux. Pour l’heure, les services essentiels comme la production de l’électricité pour la ville de Fort-Dauphin sont maintenus.
Mais le manque à gagner pour QMM s’élèverait à plusieurs centaines de milliers de dollars par jour d’activité en moins. Combien de temps la société va-t-elle continuer en “service minimum” ? Cessera-t-elle ses activités temporairement pendant plusieurs mois ? Quels liens avec la négociation de la convention fiscale ? Les réponses restent en suspens…
Emre Sari
et Tiana Ramanoelina