Joan Razafimaharo, architecte et passionnée d’architecture depuis son enfance, raconte son parcours et donne son avis sur le secteur Architecture à Madagascar. Entretien.
Pourquoi avoir choisi ce métier ?
J’ai “architecturé” depuis mon enfance. À la maison, nous avions des magazines américains type “Southern Living”, avec des plans de maisons vernaculaires que je redessinais. À sept ans, je pense en avoir juste réussi les grandes lignes, mais vers 10 ans quand on a eu notre premier PC avec le fameux logiciel “Paint” de Microsoft, mes façades commençaient à prendre des couleurs. En parallèle, j’avais aussi développé une mini-ville de poupées Barbies avec des immeubles d’appartements meublés. J’ai aussi eu l’opportunité de beaucoup voyager et de découvrir les différentes cultures, environnements et habitats. J’ai visité la presque totalité des grandes villes de Madagascar avant mes 18 ans. Cela est très formateur de parcourir le pays car cela ouvre à la culture générale, la curiosité et à l’intérêt pour autrui, des compétences d’architecte.
Où est-ce que vous exercez le métier ?
Partout ! La profession se pratique dans l’environnement bâti urbain, mais aussi dans les milieux ruraux et les paysages les plus diversifiés. J’ai donc profité des grandes étendues de Madagascar pour faire connaître notre profession en m’impliquant dans les communautés à tous les niveaux. Un de mes premiers contrats a été de rénover des locaux dans la grande région industrielle viticole de Fianarantsoa et nous avons terminé en 2022 la rénovation d’un grand bâtiment du milieu bancaire à Manakara. En ce moment, je suis souvent sur Nosy-Be où j’assiste, au titre de consultante, auprès d’institutions sur les bonnes pratiques dans le secteur de la construction et de l’aménagement.
Pouvez-vous nous parler de vos réalisations ?
J’ai commencé “grand” lorsque j’ai été assignée à un projet de plus de 10 000 m2 à esquisser en 2008 durant mon stage professionnel obligatoire dans une firme de Montréal. Depuis, mon portfolio s’est beaucoup diversifié et je ne privilégie pas d’échelle ou de domaine spécifique. J’ai fièrement mené un très petit chantier que je qualifie en toute humilité de “elakelantrano végétalisé” pour la Fondation des Aires Protégées pour la Biodiversité de Madagascar en 2018. La même année, nous avons débuté la programmation suivant un cahier des charges très rigoureux de l’agence américaine pour le contrôle alimentaire, le Food and Drugs Administration, la FDA, d’une chocolaterie basée à Madagascar. C’est juste quelques temps avant sa réception, alors que je venais d’avoir mon quatrième enfant, que commençaient deux projets que nous avons menés en tant que maître d’oeuvre : la rénovation de la Madressah d’Ankorondrano et la construction du Cinéma Canal Olympia Iarivo.
Est-ce que le métier d’architecte fait vivre ?
Je demanderais plutôt si le coût de la prise de responsabilité dans l’acte de bâtir est important. Mais plus généralement au niveau de la société malgache, il y a beaucoup de réticences à avoir recours aux professions libérales avec des conséquences tragiques. Les professions tels les avocats, médecins ou experts comptables ont pris des décennies pour se faire reconnaître et encore de nos jours les actualités publient quotidiennement des faits divers sur les méfaits des charlatans et les imposteurs.
Qu’avez-vous à dire des offres de conception 3D qui pullulent sur les réseaux sociaux ?
Les offres sur les réseaux sociaux, similaires au registre des packs publicitaires, ne proposent pas de service mais plutôt un produit. Et même si le projet commandé consiste à un cabanon de moins de 150 m2 placé dans une forêt, il sera exigé un permis de construire. Là aussi je ramène la question à : “Qui oserait risquer son investissement ou ses économies sur la base d’une image 3D ?”. Bien entendu, le secteur doit être assaini. Je recommanderai plus de pédagogie à diffuser auprès des donneurs d’ouvrage. Privilégier les dessins d’apparats à la garantie structurelle d’un bâti est un risque surtout si le projet est à construire. Il faudra aussi prendre en compte que, de par sa déontologie, l’architecture est d’utilité publique, et le professionnel privilégiera toujours la sécurité de l’usager sur le choix de la couleur du carrelage.