Dans une interview exclusive, l’ambassadeur de la Fédération de Russie à Madagascar, Andrey Andreev a répondu sans ambages aux questions de notre journaliste, sur l’état de la coopération entre les deux pays, l’influence russe à Madagascar et la guerre en Ukraine
*Comment se portent actuellement les relations bilatérales entre Madagascar et la Russie ? Quels sont les domaines de coopération ?
-Andrey Andreev : Les relations russo-malgaches sont traditionnellement amicales. Ayant traversé des étapes difficiles dans leur développement au cours de nombreuses années d’histoire, elles ont passé l’épreuve du temps et sont aujourd’hui basées sur un dialogue égal et mutuellement respectueux, ainsi que sur la non-ingérence dans les affaires intérieures de chacun. Nous voyons que la société malgache se souvient bien de l’assistance que l’Union soviétique a apportée à Madagascar dans sa lutte contre l’oppression coloniale, dans la défense de la souveraineté et de l’intégrité territoriale ainsi que dans le développement de l’Etat malgache. La Russie a repris cette politique en pleine mesure. Je me réjouis de la forte détermination de nos pays à renforcer davantage les liens diversifiés.
*Et c’est loin d’être un effet d’annonce à constater les échanges entre les deux pays ces derniers temps…
-Cette détermination a été confirmée une fois de plus lors de la participation de la délégation malgache conduite par le président du Sénat au deuxième sommet Russie-Afrique, ainsi que des délégations représentatives de l’Assemblée nationale et du Sénat à la Conférence parlementaire Russie-Afrique en 2023. Madagascar et la Russie, partageant des points de vue similaires sur de nombreux processus mondiaux, interagissent de manière fructueuse sur la scène internationale.
*Autant dire que la Russie et Madagascar sont sur la même longueur d’onde…
-Nous avons des positions communes sur des questions aussi pressantes de l’époque actuelle que la construction d’une architecture multipolaire plus équitable de l’ordre mondial, la décolonisation, l’utilisation pacifique de l’espace, la sécurité internationale de l’information, l’inadmissibilité de la glorification du nazisme… Madagascar maintient sa position de neutralité dans le conflit ukrainien et voit avec compréhension les raisons qui ont forcées notre pays à lancer une opération militaire spéciale en Ukraine. La Russie, à son tour, soutient systématiquement Madagascar dans son droit à restaurer sa souveraineté sur les îles Eparses conformément aux Résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies.
*Beaucoup de rumeurs ont circulé sur l’influence russe à Madagascar, notamment dans la dernière élection présidentielle, ou encore la présence des hommes de Wagner au pays. Que pouvez-vous dire là-dessus ?
-Les rumeurs répandues par les pays occidentaux sur les tentatives de la Russie d’influencer les processus politiques à Madagascar, sont fausses. Ce faisant, ils veulent dénigrer la Russie et empêcher le renforcement de la coopération entre nos deux pays. La société militaire privée « Wagner » que vous avez évoquée n’existe plus depuis longtemps. Cette société, qui travaillait dans de nombreux pays africains sous contrat avec leurs gouvernements, n’a jamais été présente à Madagascar. Je voudrais lancer un message clair : la position de principe de la Russie est la non-ingérence dans les affaires intérieures d’autres pays. Cela s’applique pleinement à Madagascar et aux élections présidentielles qui ont eu lieu l’année dernière.
* Et vis-vis des autres pays occidentaux ?
– Sur ce point, je ne peux passer sous silence la question de l’ingérence des pays occidentaux dans les affaires intérieures de votre pays. Vous avez très bien vu comment les représentants occidentaux se sont arrogés le droit d’évaluer les processus démocratiques à Madagascar, les actions du gouvernement pour assurer l’ordre public, comment ils ont émis des critiques quant à l’absence de mise en œuvre des recommandations occidentales en matière électorale. Tout cela est fait dans le but de faire pression sur les autorités des pays en développement dont Madagascar, et d’accroître encore plus leur dépendance vis-à-vis de l’Occident.
*Concernant la conjoncture internationale et la guerre en Ukraine, les récentes déclarations, tournant notamment autour des notions de « limite », de « ligne rouge », font craindre le risque d’une extension de la guerre. Après trois ans de guerre, ces risques sont-ils réels et quelle est la position du gouvernement russe à ce propos ?
-Comme vous le savez, une confrontation aiguë entre la Russie et l’Occident se poursuit en Ukraine. Les pays occidentaux, en fournissant à Kiev d’énormes quantités d’armes et une aide financière de plusieurs milliards de dollars, misent toujours sur la défaite de la Russie sur le champ de bataille. En même temps, les nationalistes ukrainiens sont encouragés à commettre des attaques terroristes sur le territoire russe, dont les victimes sont des simples citoyens. En manifestant hypocritement son aspiration à la paix, l’Occident monte les degrés de sa rhétorique belliqueuse. Ils parlent déjà de la possibilité d’envoyer des contingents militaires occidentaux dans la zone de conflit, de transférer à Kiev des missiles à longue portée, des avions et d’autres armes meurtrières modernes.
*Le risque d’escalade est donc réel…
-Je voudrais souligner que notre pays est prêt, comme avant les événements ukrainiens, à négocier un règlement pacifique en Ukraine. Toutefois, un tel dialogue doit être construit sur une base égale, sans ultimatum et en tenant compte des nouvelles réalités et des préoccupations russes en matière de sécurité. Jusqu’à présent, nous ne pensons pas que les pays occidentaux soient prêts à un tel dialogue. De plus, nous entendons des déclarations provocatrices et irresponsables de la part des hommes politiques occidentaux qui évoquent le sujet des guerres mondiales, voire nucléaires. Nous ne voulons pas ça, mais en même temps, comme l’a récemment confirmé le président russe Vladimir Poutine, en cas de nécessité nous serons prêts à donner une rebuffade décisive. Entre-temps, vu les conditions actuelles, nous sommes obligés de poursuivre une opération militaire spéciale en Ukraine, dont le but n’est pas de s’emparer des territoires ukrainiens, mais d’assurer la sécurité de la Russie et de ses citoyens. Cette opération avance bien et permettra à coup sûr d’atteindre tous nos objectifs.
*Quels sont vos objectifs ?
-Nous cherchons à empêcher que la situation ne se développe selon le scénario écrit par les pays occidentaux dans l’intérêt du maintien de leur hégémonie dans les affaires internationales. Avec des pays partageant nos idées et avec nos amis des pays du Sud, y compris de l’Afrique, nous avons l’intention d’assurer la création d’un ordre mondial multipolaire juste, fondé sur l’égalité souveraine de tous les Etats. Nous nous réjouissons que, malgré l’opposition et les pressions de l’Occident, cette approche trouve un soutien croissant dans le monde entier, y compris à Madagascar. Ceci est confirmé par la déclaration finale approuvée à l’unanimité à l’issue du deuxième sommet Russie-Afrique qui a eu lieu l’année dernière à Saint-Pétersbourg.
*En matière de coopération, la Russie est un partenaire de taille de Madagascar dans plusieurs domaines…
-La coopération humanitaire reste le moteur traditionnel de nos relations bilatérales. Chaque année, la Russie octroie aux citoyens malgaches 40 bourses pour étudier dans les universités russes. Un nombre important de Malgaches suivent en Russie les cours de formation offerts par l’Académie diplomatique du ministère russe des Affaires étrangères, du ministère de l’Intérieur… En général, au fil des années des relations officielles (depuis 1972), plus de 5.000 Malgaches ont été formés en Russie et bon nombre d’entre eux font aujourd’hui partie de l’élite politique et militaire de la République de Madagascar. La Russie apporte également à la Grande île une aide humanitaire systématique, tant à travers le Programme alimentaire mondial des Nations unies qu’à titre bilatérale. Par exemple, en août 2023, 322,5 tonnes de nourriture ont été livrées ici pour l’alimentation scolaire dans le sud du pays.
*Quelles sont les grands axes de l’Accord signé en 2015 sur la conversion de la dette de Madagascar envers la Fédération de Russie, aux fins de financement des projets en matière de développement sur le territoire de la République de Madagascar ?
-Cet Accord constitue une bonne base pour le développement de la coopération dans les domaines commercial et économique. Parmi les projets les plus significatifs dans le cadre dudit Accord, je voudrais souligner la fourniture de véhicules spécialisés (ambulances, véhicules de sapeur-pompier, etc.) par la compagnie russe GAZ et la création à Madagascar d’un réseau de laboratoires mobiles sur la lutte contre les maladies infectieuses. Nous comptons également sur le développement de la coopération dans le domaine de la pêche, ainsi que l’établissement de liens de coopération directs pour la fourniture de céréales russes et d’autres produits agricoles. On peut également mentionner la possibilité de la participation des entreprises russes à l’exploitation minière sur la Grande île. Nous nous intéressons à l’accroissement des exportations vers la Russie des produits traditionnels malgaches tels que la vanille, le litchi, les épices, fèves de cacao. Il existe également des projets intéressants dans les domaines du tourisme et de l’énergie.
*Les deux pays ont également signé un accord militaire en 2022. Pouvez-vous en préciser la nature et où en est la mise en œuvre ?
-La Russie et Madagascar sont liés par des Accords de coopération militaire et militaro-technique. Ce dernier a été signé en janvier 2022 lors de la visite chargée en Russie du ministre de la Défense nationale de la République de Madagascar, M. Richard Rakotonirina. Ces deux documents portent sur la coopération entre nos pays visant le renforcement du potentiel militaire et de la sécurité nationale de Madagascar, la formation des militaires malgaches, ainsi que la livraison d’armes russes. Les deux parties prennent actuellement des mesures pour mettre en œuvre lesdits documents. Malheureusement, les élections présidentielles de l’année dernière à Madagascar et de cette année en Russie ont quelque peu ralenti le travail là-dessus. Néanmoins, lors de ma récente rencontre avec le général de corps d’Armée, ministre des Forces armées de la République
de Madagascar, S.E.M. Sahivelo Lala Monja Delphin, nous nous sommes convenus d’intensifier les efforts conjoints dans ce sens.
*Le président Vladimir Poutine vient d’être réélu pour un cinquième mandat avec plus de 87% des suffrages exprimés, à l’issue d’une élection que certains dirigeants occidentaux ont critiquée. Quel regard portez-vous sur cette actualité ?
-En effet, le président Vladimir Poutine a remporté une victoire écrasante aux récentes élections. Nous n’avons pas été surpris par les tentatives des pays occidentaux de remettre en question le processus et les résultats du vote. Le soutien quasi unanime du peuple russe au président Vladimir Poutine leur provoque une forte colère et irritation. Pour eux, il s’agit d’un nouvel échec dans leurs efforts pour maintenir leur influence dans les affaires mondiales. Je voudrais souligner que 1.115 observateurs et experts internationaux venant de 129 pays du monde dont Madagascar, ont participé au programme d’observation des élections présidentielles de la Fédération de Russie. Ils ont tous hautement apprécié l’organisation du processus électoral et ont souligné que les élections
s’étaient déroulées de manière juste, démocratique et transparente. En même temps, nous ne nous soucions guère de ce qu’en pensent nos adversaires. Ce qui nous importe, c’est que ces élections ont été un reflet objectif de la volonté du peuple russe et ont confirmé sa détermination à surmonter ensemble les problèmes actuels.
Recueillis par JR.