Madagascar a fait des progrès après la crise sanitaire de Covid-19, et des efforts ont été déployés pour redresser le pays. L’arrivée de Fly Emirates représente une opportunité bénéfique pour le pays, et la vision ambitieuse de l’État visant à atteindre 500.000 touristes en 2025 et 1 million en 2028 promet de dynamiser le secteur. Cependant, ces bonnes nouvelles s’accompagnent de défis à relever. Selon Tojosoa Lytah Razafimahefa, président du conseil d’administration de la Confédération du Tourisme de Madagascar (CTM), il est essentiel d’adopter une vision claire et cohérente, soutenue par des plans d’action et des stratégies bien alignées, pour se donner les moyens de nos ambitions. Le PCA s’exprime sur la situation du secteur touristique en général. Entretien.
Comment va le secteur quatre ans après la crise sanitaire ?
Après la pandémie de Covid-19, nous avons observé une reprise en trois étapes. La première étape, appelée la récupération touristique, concernait ceux qui avaient déjà réservé auparavant ou reporté leur voyage, et qui sont donc revenus. La deuxième étape impliquait une nouvelle approche marketing pour s’adapter aux nombreux changements survenus dans les habitudes de consommation et de vente, notamment l’essor du numérique, à laquelle Madagascar s’est également adapté. La troisième étape consistait à maintenir la résilience du secteur touristique et à se préparer à d’éventuelles futures crises en tirant les leçons de la crise de covid-19.
Depuis la réouverture des frontières, nous avons constaté un certain dynamisme. Retrouver la confiance du marché n’a pas été facile, car le développement du tourisme national n’a pas concerné uniquement Madagascar. Après le Covid-19, nous étions encore en phase de reprise avant de pouvoir parler de relance. Malgré cela, il y avait une volonté et un mouvement significatif.
Cependant, nous faisons actuellement face à une réalité difficile : assurer la sécurité et la sûreté de notre capacité aérienne nationale est un défi majeur. Malgré cela, les opérateurs continuent de faire de gros efforts, et l’État a exprimé une vision “très ambitieuse” : atteindre 500.000 touristes en 2025 et 1 million en 2028.
Dans quelle phase se situe-t-on actuellement ?
Je ne peux pas parler directement de relance. Je dirais que nous sommes toujours en phase de reprise et que nous entrons dans la phase initiale de la relance. Une relance ne se fait pas en une seule étape. Il s’agit d’abord de reconquérir la confiance du marché, puis d’atteindre de nouveaux marchés grâce à une nouvelle stratégie de promotion. Ensuite, il est essentiel de faire un état des lieux de la situation opérationnelle, car nous devons reconnaître que nous faisons face à un turnover sans précédent dans le secteur du tourisme. De nombreux employés et cadres ont quitté le secteur pour d’autres industries ou sont partis à l’étranger, rendant la récupération de ces ressources humaines difficile.
Qu’en est-il de l’arrivée de compagnies telles que Fly Emirates ?
C’est une excellente nouvelle, non seulement pour le tourisme mais aussi pour l’économie en général. Dans le secteur du tourisme, la stratégie marketing est assez différente de celle des autres secteurs. L’aérien, en particulier, est un secteur qui marche sur des œufs et qui peut être déstabilisé par des problèmes géopolitiques ou politiques.
Fly Emirates est aujourd’hui l’une des premières compagnies mondiales, avec une flotte de près de 300 avions desservant environ 85 pays et entre 160 et 170 destinations. C’est une expertise et une maîtrise du marché sans précédent, souvent qualifiée de compagnie aérienne 7 étoiles.
La présence de Fly Emirates est très bénéfique pour nous. Il nous appartient maintenant de savoir comment exploiter et utiliser cette plateforme et ce partenariat pour espérer un développement progressif du tourisme. L’arrivée d’une compagnie aérienne de cette envergure envoie un message fort à toutes les autres compagnies aériennes mondiales. Nous ne pouvons en être que bénéficiaires.
Sommes-nous aptes à gérer la présence d’une compagnie de cette envergure ?
Écoutez, nous ne pouvons pas attendre d’être parfaitement prêts pour nous ouvrir au monde. Cela doit se faire progressivement, en impliquant ensemble le secteur privé, le secteur public et d’autres acteurs pour créer une dynamique cohérente. Il nous appartient vraiment d’exploiter et d’explorer toutes les possibilités offertes par l’arrivée d’une telle compagnie. Cependant, il est important de noter que Fly Emirates ne vient pas directement à Madagascar. Cela peut être une stratégie de la compagnie, visant à tester comment la destination réagit et comment le monde réagit à la destination. Nous aurions préféré qu’Emirates établisse des vols directs vers Madagascar, ce qui réduirait le temps de trajet pour les clients de 10 ou 12 heures à environ 5 heures. Néanmoins, la compagnie a ses propres décisions stratégiques que nous devons respecter. Lors de l’annonce faite par le président de la République à Nosy Be, nous espérions tous un vol direct entre Dubaï, Nosy Be et Tana.
500.000 touristes en 2025 et 1 million de touristes en 2028, est-ce réalisable ?
Tout d’abord, c’est déjà bien d’avoir une vision. Avoir un but est essentiel, et pour atteindre ce but, il faut fixer des objectifs spécifiques. Il y a des éléments qui échappent à notre contrôle, comme les fluctuations économiques et les changements climatiques. Cependant, notre vision reste très ambitieuse. Nous devons pratiquement tripler la capacité touristique de Madagascar, ce qui implique une augmentation significative de nos capacités opérationnelles, de service, et de nos offres touristiques. Il faudra donc de nouveaux produits, de nouvelles offres touristiques et des compétences accrues dans ce domaine.
La capacité d’absorption repose sur trois aspects principaux : le transport aérien, la capacité d’hébergement et la capacité de service opérationnelle. Pour accueillir plus de visiteurs, nous devons être capables de les recevoir correctement, ce que j’appelle la capacité d’absorption. Actuellement, nous avons un “buffet”, mais notre “estomac” n’arrive pas à ingurgiter tout ce bon plat. Il faut savoir si nous nous concentrons sur un plat végétarien, un plat à base de viande, ou un peu de tout cela. Il est crucial d’avoir une vision cohérente, avec des plans d’action et des stratégies alignées.
Atteindre 500.000 touristes en 2025 est notre objectif, mais même si nous atteignons 350.000, ce serait déjà une victoire. De même, viser un million de touristes en 2028 est ambitieux, mais atteindre 500.000 serait déjà un grand succès pour Madagascar. Ce serait la première fois en 20 ans de promotion touristique que nous atteindrions ce demi-million de visiteurs.
Par rapport à tout cela, quels sont les défis auxquels le secteur touristique fait face ?
Nous sommes une grande île, la quatrième plus grande île au monde, riche en ressources naturelles exceptionnelles. Nous sommes fiers de ces atouts et souhaitons les faire connaître au monde entier. Cependant, au niveau national, notre capacité opérationnelle n’est pas à la hauteur de nos ambitions. Nous manquons de moyens.
Nos infrastructures routières sont un exemple criant de ce problème. J’ai parcouru la route entre Mahajanga et Tana en 15 heures, ce qui signifie que j’ai passé toute une journée sur la route. Dans le tourisme, cela ne fonctionne pas ainsi. “Time is money. Time is gold.” Un touriste vient pour consommer, et ce n’est pas la route qu’il veut consommer, mais l’hôtel, le restaurant, les circuits touristiques et les paysages. La route est simplement un moyen de se rendre d’une destination A à une destination B.
Une étude de la Banque mondiale montre qu’un dollar dépensé par un touriste peut, dans une chaîne de valeur économique bien organisée, se multiplier jusqu’à 100 ou 200 dollars. Les mauvaises infrastructures entravent donc le tourisme et l’économie touristique, affectant toute la chaîne de valeur. Les habitants de Sainte Marie, Nosy Be et Taolagnaro, par exemple, souffrent lorsque les clients ne peuvent pas accéder facilement à leurs destinations. Si atteindre une destination depuis Tana prend deux ou trois jours de route, cela signifie qu’un aller-retour prend une semaine entière. Un touriste préfère naturellement une destination plus facilement accessible.
Avec des routes qui prennent du temps à être construites, il nous faut une desserte aérienne domestique stable. Cependant, expliquez-moi comment une compagnie ayant le monopole sur ce secteur peut être en faillite et en difficulté financière ?
Propos recueillis par
Nambinina Jaozara