Ny Aro Andriamiarosoa: “La filière insectes, une opportunité cachée”

Ny Aro Andriamiarosoa est la fondatrice de BsflyInsectsFarming. Sa startup a vu le jour il y a seulement deux ans, et œuvre dans la valorisation des insectes appelé Black Soldier Fly (BSF) ou mouche soldat noire. Dans ce sens, la startup s’attaque à d’autres problématiques comme la transformation des déchets organiques, l’environnement et l’agriculture. Entretien.

D’où l’idée de valoriser les insectes vous est-elle venue ?

Je vis à Andravoahangy, et chaque jour je suis confrontée à la problématique des déchets. Après de nombreuses recherches sur leur valorisation, j’ai découvert qu’Antananarivo produit environ 250.000 tonnes de déchets par an, dont 80% sont organiques. Ce chiffre est considérable, surtout face aux problèmes de malnutrition. Dans la capitale, plusieurs initiatives existent déjà pour recycler le plastique et les déchets non organiques, mais peu s’intéressent aux déchets organiques.

Il faut savoir que l’élevage d’insectes n’a commencé à attirer l’attention des Malagasy qu’en 2020. Entre-temps, le prix des provendes a explosé, rendant nécessaire la recherche d’une source alternative de protéines. En plus de cela, les effets du changement climatique qui ne cessent de s’accentuer dans l’île rend impérative la recherche de mesure d’atténuation et d’adaptation effective et durables. À l’origine, mon idée était d’exploiter la mouche soldat noire (BSF) pour gérer les déchets à Antananarivo, et plus précisément à Andravoahangy. J’ai commencé par valoriser mes propres déchets organiques, car les larves de BSF consomment énormément de déchets et les transforment en engrais organique. De plus, elles ont la capacité de convertir ce qu’elles ingèrent en protéines.

Vous utilisez le BSF. Qu’est-ce qui caractérise cette variété d’insecte ?

Le BSF est originaire des régions tropicales et subtropicales des Amériques, en particulier de l’Amérique centrale et du Sud. Cependant, en raison de son utilité dans la gestion des déchets organiques et comme source de protéine alternative, elle a été introduite et est maintenant présente dans de nombreuses régions du monde, y compris en Europe, en Asie, et en Afrique.Le BSF est particulièrement apprécié pour sa capacité à décomposer rapidement les déchets organiques et à produire des larves riches en nutriments, utilisées pour l’alimentation animale et d’autres applications. Ici à Madagascar, son cycle peut varier de 20 à 45 jours vu qu’elle dépend des différents paramètres suivants : la température, la luminosité et l’humidité. Cette espèce n’est pas invasive, elle n’est pas porteuse de maladie et elle ne dégage pas d’odeur, une petite mouche très calme mais pourtant très importante.

Aujourd’hui, que propose votre startup en termes de produit ?

La mouche soldat noire représente une excellente source alternative de protéines. Fort de mon expertise en tant qu’ingénieure agronome et de mes recherches, j’ai développé une formulation spécifique qui m’a permis de créer un produit destiné aux chiens. Pourquoi ce choix ? Étant propriétaire de dix chiens, je sais que le coût de leur alimentation est particulièrement élevé.

Nous avons ainsi mis au point un biscuit pour chiens, un complément alimentaire riche en protéines, pouvant remplacer des aliments tels que la viande hachée. Toutefois, il doit être accompagné de sources de glucides et de lipides pour un régime équilibré. En plus de ces produits finis, nous commercialisons également des matières premières, telles que des œufs ou des pupes, des larves fraîches, ainsi que des engrais organiques. À terme, notre objectif est de lancer sur le marché des croquettes complètes pour animaux.

Comment se porte la filière insectes à Madagascar ?

Le marché est encore très vaste, mais demeure incertain. Bien que de nombreuses personnes investissent dans ce domaine, la majorité d’entre elles utilisent des méthodes semi-traditionnelles, ce qui entraîne une faible production. Les insectes consomment des déchets organiques qui varient en fonction des saisons. Ce sont ces déchets qui, une fois ingérés, se transforment en nutriments pour les larves. Ainsi, si la valeur nutritionnelle des déchets est faible, les nutriments des larves le seront également.

Les fabricants d’aliments pour animaux (provenderies) hésitent à acheter de la farine d’insectes en raison de cette variabilité. En effet, peu de producteurs sont capables de fournir de la farine d’insectes en grande quantité et de manière constante. Lorsque la qualité nutritionnelle de la matière première est insuffisante, cela affecte non seulement le produit fini (comme les croquettes ou les provendes), mais aussi la croissance des animaux qui les consomment.
A quelles difficultés la filière est-elle confrontée ?

Les gens commencent à découvrir la filière. Pour notre cas, nous utilisons la farine d’insectes pour la consommation animale, c’est une autre histoire pour la consommation humaine. Même si la farine d’insecte dispose de valeur nutritive très élevée et bénéfique pour l’Homme, elle est très coûteuse et peut devenir une fausse solution dans la recherche de source de protéine alternative, car cela nécessite le fait que les BSF consomment des légumes ou des viandes fraîches non endommagés. Il faudrait un immense travail social pour un changement de comportement allant dans ce sens, cependant, cela n’empêche que des curieux et des courageux en consomment régulièrement(…).

Sur le long terme, quel serait votre ambition ?

Notre ambition est de contribuer à hauteur de 10 % à la réduction des déchets à Antananarivo. Si nous parvenons déjà à gérer la situation à Andravoahangy, ce serait un grand pas en avant. Nous visons à devenir une entreprise capable de fournir des croquettes de qualité et en quantité pour le marché, à un prix abordable. BSFlyInsectsFarming est encore une jeune entreprise, mais nous sommes ambitieux et déterminés à aborder un problème qui touche à la fois l’environnement et l’agriculture. Nous exploitons le potentiel du BSF (Black Soldier Fly) pour transformer nos déchets organiques. En effet, le traitement des déchets par le BSF réduit les émissions de méthane, donc de gaz à effet de serre, et contribue de manière durable à la capture de ces émissions. Nous sommes également membres de la plateforme Gasy Insectes Comestibles, une initiative créée à Madagascar pour rassembler tous ceux qui travaillent ou souhaitent se lancer dans cette filière. En effet, les insectes ne se limitent pas au BSF : les sauterelles ou encore les criquets, parmi tant d’autres, font aussi partie des espèces exploitées.

Tiana Ramanoelina

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