Pourquoi l’éducation coûte cher ? En raison des investissements nécessaires en matériel conforme aux normes, en infrastructure, en personnel et en formations. Cependant, selon Henintsoa Sitrakiniaina Rakotonirainy, fondatrice de l’école Lifeskills Academy, investir dans une école de qualité ne se résume pas à ces aspects matériels. Elle souligne l’importance de la conviction, car sans celle-ci, l’éducation risque de se transformer en simple commerce. Elle partage son expérience de la création de l’une des premières écoles inclusives à Madagascar ; le prix qu’elle a payé et le sacrifice qu’elle a dû faire pour réaliser son rêve d’un avenir meilleur pour l’éducation dans le pays.
Créer une école inclusive à Madagascar relève d’un véritable défi. En revanche, la simple construction d’une école semble plus accessible, pourvu qu’il y ait des fonds disponibles. Cependant, toutes les écoles à Madagascar ne sont pas inclusives, et en particulier, la majorité des établissements publics ne le sont pas. Comment être sûr ? C’est simple : dès qu’un enfant a un bulletin scolaire insatisfaisant ou rencontre des difficultés, il risque soit de redoubler, soit même d’être renvoyé. “J’ai rencontré des parents profondément affectés par ce système. Ils m’ont confié que leurs enfants, qui peinaient à lire ou à écrire, étaient renvoyés, car les enseignants n’étaient pas en mesure de les accompagner correctement”. En effet, le personnel enseignant dans les écoles publiques malgaches manque souvent de la compétence nécessaire pour gérer ce type de situation.
La première étape consiste donc à se former et à former du personnel qualifié. Lorsque l’idée de créer Lifeskills Academy est née, elle a dû investir dans une formation en sciences de l’éducation, car à Madagascar, il n’existe pas de spécialisation dans ce domaine. Elle a eu un atout, étant diplômée en psychologie sociale. Elle a donc obtenu son certificat d’éducatrice Montessori et s’est lancé dans la gestion de toute la partie administrative. « Même si je possède ce certificat, je ne peux pas garantir que tout mon personnel possède le même niveau de compétence pour enseigner selon la méthode Montessori, c’est pourquoi j’ai choisi d’être honnête et réaliste, et de partir sur une base pédagogique Freinet ».
La pédagogie Freinet est une variante de la méthode Montessori. Contrairement à Montessori, la méthode Freinet est issue de l’école publique et est reconnue par l’Éducation nationale. Elle cherche à rendre l’apprentissage agréable et libre, tout en maintenant les structures de classe traditionnelle des écoles malgaches, comme les bulletins scolaires, permettant ainsi aux élèves de passer des examens officiels et d’obtenir des certificats. Son objectif principal est d’aider et de soutenir les parents et enfants malgaches. « Je me suis rendu compte que la méthode Montessori pure ne correspond pas au contexte malgache. Je crois que ce métier nécessite aussi de l’honnêteté ». Parallèlement, Henintsoa Sitrakiniaina Rakotonirainy a dû investir dans du matériel conforme aux normes internationales. « Bien sûr, cela représente un investissement financier. Je ne les ai pas obtenus d’un coup, je l’ai acheté progressivement. Il y a aussi le coût de l’infrastructure, qui est également lourd », explique-t-elle.
L’éducation inclusive vise à accueillir tous les élèves, quelle que soit leur origine, leurs capacités ou leurs différences. Bien que la loi exige que toutes les écoles soient inclusives, Madagascar manque à la fois de personnel qualifié et d’infrastructure appropriée pour mettre en place une véritable école inclusive. C’est pourquoi Henintsoa Sitrakiniaina Rakotonirainy a décidé de créer Lifeskills Academy. L’école porte bien son nom. Son objectif est d’accueillir les enfants en difficulté et de leur offrir un environnement stable et sécurisé où ils peuvent grandir. Dans cette école, les enfants apprennent et grandissent à leur rythme, tout en bénéficiant chacun d’un suivi particulier. Les cours ne se résument pas à l’écriture et la lecture, il existe aussi les séances de découverte, de la nature ou de la nourriture par exemple.
En plus des investissements dans le personnel, l’infrastructure et le matériel, il y a également l’investissement auprès des parents, car des parents bien informés et formés conduisent à une meilleure éducation. « Par exemple, les parents ne savent pas ce qu’est réellement le système Montessori. Ils voient une annonce sur les réseaux sociaux et s’inscrivent à l’aveugle dans n’importe quelle école, alors qu’il existe des normes à respecter. L’éducation est une responsabilité collective ; il ne suffit pas juste de le confier aux enseignants, tout le monde est concerné ». Henintsoa Sitrakiniaina Rakotonirainy investit dans la sensibilisation des parents, en restant constamment en contact avec eux et en leur donnant des conseils pour améliorer la qualité de l’éducation.
Pourquoi l’éducation inclusive est-elle coûteuse ? Parce que lorsqu’un enfant présente des troubles qui ne sont pas correctement pris en charge à l’école, ou s’il est transféré d’une école à l’autre, cela affecte son développement. À un certain point, des parents qui ignorent les démarches à suivre pour un « enfant DYS » se retrouvent confrontés à des problèmes plus graves à l’avenir, rendant les consultations à la fois plus coûteuses et plus difficiles. Dans les cas plus graves, il peut être nécessaire de consulter un pédopsychiatre ou des orthophonistes, mais avoir des enseignants qualifiés dans les écoles, capables de prendre en charge les enfants en difficulté, permet également de réduire les couts.
« Nous avons investi dans une école primaire car c’est la base, mais nous espérons, si l’opportunité se présente, aller plus loin. Je pense que les écoles primaires publiques (EPP) et les collèges (CEG) sont les plus importants, et pourtant ce sont celles qui sont les plus négligés. » Si les écoles publiques bénéficiaient d’une meilleure prise en charge, les enfants qui en sortiraient auraient un impact plus important sur l’économie du pays, avec un profil plus solide, estime Henintsoa Sitrakiniaina Rakotonirainy. Elle souhaite qu’il y ait davantage d’écoles comme Lifeskills Academy pour répondre aux besoins des enfants malgaches. Cependant, cela nécessite en plus des moyens financiers, non seulement une vision claire de l’éducation à Madagascar, mais aussi une conviction profonde, qui permet de prendre l’éducation au sérieux et de s’engager à respecter les normes en vigueur, selon elle.
Nambinina Jaozara