Dina Mialinelina : “Remettre l’art à la place qu’il faut !”

Le groupe Dina M figure parmi les finalistes du Prix Découverte RFI 2025. Pour Les Nouvelles, la chanteuse Dina Mialinelina évoque l’aspect économique de l’industrie musicale à Madagascar et se livre pour ses ambitions artistiques. Entretien.

Les Nouvelles : On entend fréquemment que l’industrie musicale à Madagascar est souvent confrontée à des défis. Quels sont les principaux obstacles qu’un artiste affronte ?

Le fait d’être artiste n’est pas encore considéré par le plus grand nombre comme étant un vrai travail. Pour l’instant, certains y voient quelque chose de pas sérieux et un divertissement parmi tant d’autres. La plupart des gens ne donnent pas d’importance à l’art alors qu’il y a par exemple le “kabary”, qui est vecteur d’un certain nombre de valeurs. De plus, il n’existe que peu de structures pouvant soutenir ou accompagner les artistes au niveau de l’Etat. Ce sont plutôt certains particuliers passionnés, qui, pour entretenir leur l’image ou celle de leur entreprise viennent parler aux artistes.

Comment financez-vous vos projets musicaux ?

J’ai toujours travaillé en autoproduction même si, de toute façon, un artiste ne peut rien faire tout seul. Comme beaucoup d’artistes, j’ai un parrain. Je crée de la musique mais sans appui financier, je ne peux pas aller l’enregistrer en studio.

Ce parrain doit-il être obligatoirement un artiste ?

Le parrain ou l’investisseur, c’est quelqu’un qui doit croire en son produit. Ce n’est pas forcément un artiste. Personnellement, je préfère travailler avec une personne qui n’est pas du tout dans le domaine artistique mais qui, au contraire, pense plus économiquement que l’artiste. En effet, dans l’industrie musicale, il faut savoir laisser les sentiments de côté, et prendre le côté produit.

Comme tout investisseur, cette personne va financer et concrétiser, et surtout rendre la matière palpable. Il y a bien évidemment un retour sur investissement un peu plus tard. Et comme toute industrie musicale, cela peut-être un pourcentage économique, ou un avantage par rapport à l’image de son entreprise, si l’investisseur est un entrepreneur.

Vous faites partie des finalistes du Prix Découverte RFI. Qu’est-ce que cela peut apporter à un artiste ?

Etre finalistes de ce prix veut dire que des professionnels de la musique ont entendu et reconnu nos œuvres. Nous avons bien compris que l’art constitue un véritable secteur économique en Occident. En fait, c’est France Médias Monde qui s’occupe de ce prix avec la RFI. Il s’agit d’une structure composée par des d’oreilles professionnelles et attentives. C’est une vraie reconnaissance. Cela apporte beaucoup de visibilité et de la valeur promotionnelle et artistique de la musique que nous faisons.

Peut-on vivre de la musique à Madagascar ?

Oui mais c’est difficile ! Etant donné que le métier n’est pas vraiment soutenu au pays, les artistes doivent se débrouiller. Certains musiciens vivent de la musique grâce à des contrats comme des mariages, baptême ou autres évènements mais cela reste très aléatoire surtout si les musiciens ne sont pas très connus. Au contraire, d’autres musiciens connus ne vont pas avoir du mal à remplir les plus grandes salles. Dans tous les cas, c’est un métier dont les revenus sont très aléatoires. Cela dépend surtout de la notoriété et du train de vie de chacun. Il faut savoir également qu’autour du métier de musicien, il y a d’autres dérivés. Un instrumentiste peut donner des cours d’instruments ou d’arrangements. Les chanteurs peuvent donner des cours ou des ateliers.

Le marché musical à Madagascar est encore en plein structuration. Selon vous, quelles seraient les reformes ou initiatives à mettre en place pour valoriser les artistes locaux ?

Remettre l’importance de l’art à la place qu’il faut ! Cela peut se faire à travers l’éducation, par exemple en étudiant davantage les poètes. On oublie souvent que beaucoup de chanteurs, de musiciens sont des poètes parce qu’ils écrivent des paroles. C’est ce que j’essaie de faire dans mon travail ! Je ne suis pas que musicienne, j’écris aussi des paroles.

On peut commencer par revaloriser l’art à l’école car c’est une richesse. Les différents styles de musique à Madagascar, comme par exemple le “bagasy”, le “zafindraony”, le “tsapiky” vient de nos ancêtres. Ils ont transmis leur savoir à travers l’art oratoire et on voit que ces genres musicaux sont toujours présents. Nous avons voulu faire à l’occidentale notre façon d’éduquer et avons perdu le cœur de notre richesse qui est l’oralité. Par ailleurs, l’art est un levier économique parce qu’à chaque fois qu’il y a un spectacle, quelque part, l’État gagne un pourcentage. Pour autant, il n’offre que très peu de possibilités aux artistes de pouvoir vivre de leur métier.
Comment percevez-vous l’impact de la montée des plateformes de streaming sur votre travail ?

Il faut évoluer avec son temps. Un artiste se doit de connaître ces outils pour mettre les chances de son côté et utiliser Internet comme un investissement personnel. Cela nécessite des moyens financiers. De toute façon, les producteurs de musique, les managers surtout de l’étranger ne passent que par Internet pour découvrir des artistes. Donc, nous avons tout intérêt à faire en sorte que nos produits artistiques soient visibles et qu’on puisse écouter notre musique sur Internet.

Cela fait combien de temps que vous faites de la musique ?

Cela fait presque 20 ans ! Comme tout le monde, j’ai voulu faire autre chose pour avoir des revenus un peu plus stables et une sécurité économique mais l’art m’a appelé. Je m’y suis consacrée de manière sérieuse depuis 2015. Cela signifie que j’attends un retour sur investissement dans l’art tôt ou tard. Et c’est en 2018 que je me suis consacré uniquement aux compositions. Il faut y croire car parfois on peut perdre espoir et se demander si la musique va réellement nous mener quelque part. Il faut croire au talent mais aussi au travail ! Enfin, il convient de se documenter sur l’aspect économique de la musique.

Tiana Ramanoelina

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