Fitahiana Harrison – Entrepreneure: “Entreprendre, ce n’est pas gagner des millions du jour au lendemain”

Entreprendre, pour une femme, implique souvent de jongler entre plusieurs responsabilités : le foyer, la vie de couple, la carrière et les engagements sociaux. Pourtant, cette capacité innée à mener plusieurs fronts à la fois peut devenir une force redoutable dans l’univers de l’entrepreneuriat. Fitahiana Harrison en est une illustration. Mère dévouée et femme ambitieuse, elle quitte son emploi pour se consacrer à son enfant. Mais loin de mettre ses rêves entre parenthèses, elle transforme cette parenthèse en tremplin. Portée par sa passion pour l’événementiel, elle débute avec des activités de team building. Puis, une idée en entraînant une autre, elle se retrouve actuellement à la tête d’un petit empire entrepreneurial, le groupe EKS, avec un portefeuille de clients impressionnant. Son histoire.

Pourquoi avoir décidé de se lancer dans l’entrepreneuriat ?

Après mon congé de maternité, j’ai pris la décision de me lancer dans l’entrepreneuriat, car il m’était difficile d’abandonner ma fille après seulement un mois et demi. J’ai donc fait le choix de démissionner, une décision qui n’a pas été évidente au départ, car j’aimais énormément mon ancien travail. Mais en devenant mère, il m’a semblé comme une évidence de privilégier ma famille.

Je voulais prendre le temps de voir ma fille grandir, mais étant une personne très active, je ne me voyais pas rester uniquement au foyer. C’est alors que j’ai annoncé à mon mari mon intention de me lancer dans l’entrepreneuriat. Ce choix me permet de concilier ma vie de famille tout en bâtissant mon propre projet. Ainsi, depuis la mi-2023, je me consacre pleinement à cette nouvelle aventure.

Quel était votre métier auparavant ?

Avant, j’étais responsable du bonheur et du bien-être. Avant cela, j’étais chargée de la communication interne dans une autre entreprise. Plus tôt encore, j’avais étudié la gestion des ressources humaines et réalisé plusieurs stages. Mon premier véritable stage s’est déroulé dans le domaine de la communication interne, que j’ai trouvé passionnant. J’ai donc décidé d’approfondir ce domaine. Par la suite, mon premier emploi a été dans la communication interne et sociale. C’est à ce moment-là que j’ai découvert mon attrait pour l’aspect social du métier. J’aime organiser des événements pour les collaborateurs et voir leur sourire, malgré la fatigue. C’était une vraie satisfaction pour moi, et c’est ainsi que j’ai compris que c’était ce que j’aimais vraiment faire.

Et dans quoi vous êtes-vous lancée exactement ?

Au départ, j’ai commencé dans l’organisation de team buildings, car, comme je l’ai mentionné précédemment, j’ai une expérience dans l’événementiel, le social et les ressources humaines. Cependant, les team buildings sont des événements très saisonniers, et comme il faut pouvoir assurer des revenus tout au long de l’année, j’ai décidé d’élargir mon offre de services. C’est ainsi que je me suis tournée vers le recrutement et le portage salarial. Le portage salarial, en résumé, consiste en un recrutement où la personne est “portée” par mon entreprise. Cela signifie que je m’occupe de toute la gestion administrative : salaires, déclarations fiscales (IRSA), Ostie, CNAPS, et toutes les formalités nécessaires. La personne travaille pour l’entreprise cliente, mais elle est affiliée à ma société. Cela permet à l’entreprise cliente de se décharger des tâches administratives, car au lieu de gérer la paperasse RH, elle me contacte simplement pour recruter quelqu’un. Je m’occupe de la contractualisation, de toutes les démarches nécessaires et je leur envoie la personne. Ensuite, chaque mois, l’entreprise cliente n’a plus à se soucier des calculs RH, car c’est nous qui nous en chargeons.

En exerçant ce métier, j’ai constaté un manque dans le processus : parfois, les candidats recrutés n’étaient pas suffisamment compétents, ou à l’inverse, très compétents mais manquant de savoir-être. Il y avait donc un véritable besoin de formation en soft skills. C’est ce constat qui a façonné la spécificité de notre agence : nous formons d’abord les candidats aux compétences comportementales avant de les placer en entreprise. Si, par exemple, je recherche une animatrice, avant de la placer chez mon client, je commence par la former sur des bases essentielles comme la politesse et l’hygiène. Cela peut paraître basique, mais c’est indispensable. Nous lui expliquons aussi ce que signifie réellement intégrer le monde professionnel.

En développant cette approche, nous avons réalisé que si nous formons déjà des individus, pourquoi ne pas élargir notre offre de formation à un public plus large ? C’est ainsi que nous avons encore une fois diversifié nos activités. Aujourd’hui, en plus de nos services en qualité de vie au travail (team building), portage salarial et recrutement, nous nous sommes également lancés dans la formation. Nous avons également élargi notre champ d’action à la logistique et au transport longue durée.

Par ailleurs, nous intervenons dans la pose de PLV (publicité sur lieu de vente), notamment tout ce qui est impression et réimpression. Récemment, nous avons franchi un nouveau cap en lançant une chaîne de restauration. Nous avons la chance de collaborer avec une cheffe étoilée sur ce projet. Ce nouveau secteur reste cohérent avec nos autres activités, puisque nous assurions déjà des prestations de traiteurs basiques, comme des collations pour les team buildings. Tout cela s’inscrit dans une logique d’évolution naturelle.
En êtes-vous restée là ?

Dans le domaine de la restauration, nous avons constaté que les expériences culinaires s’accompagnent souvent de nombreux retours d’expérience, positifs comme négatifs. Partant de ce constat et sachant que nous sommes spécialisés dans la formation, nous avons décidé d’allier notre expertise avec celle de notre cheffe culinaire. L’objectif à terme est de proposer des formations aux professionnels en entreprise. Il est important de préciser que notre activité est principalement orientée vers le B2B, bien que nous travaillions également, dans une moindre mesure, avec des particuliers.

Avec la restauration, notre ambition est d’améliorer la qualité du service. Trop souvent, dans les grands établissements, le personnel ne sourit pas, ne répond pas aux salutations des clients, ou encore manque de connaissance sur les plats qu’il sert. C’est sur ces aspects que nous voulons agir, en formant les équipes pour améliorer leur professionnalisme et offrir une expérience client optimale. Le cœur de notre chaîne de restauration repose sur un constat simple : il existe un écart important entre la théorie enseignée en classe et la réalité du terrain. Notre objectif est d’offrir un apprentissage 100% pratique aux restaurateurs et aux grandes enseignes de Madagascar, pour renforcer leurs compétences et améliorer la qualité du service

Par ailleurs, nous développons actuellement des projets dans l’industrie, la grande distribution et l’implantation de nouvelles structures. Ces initiatives sont encore en cours, mais elles s’inscrivent dans notre dynamique d’expansion. Aujourd’hui, nos principaux domaines d’intervention sont la restauration, le recrutement, la formation, la qualité de vie au travail, la logistique, le portage salarial, ainsi que tout ce qui concerne l’impression et la réimpression publicitaire.

Où en est ce projet actuellement ?

Au départ, j’ai commencé seule, puis j’ai convaincu mon mari de me rejoindre dans l’aventure. Au début, il hésitait, car il était important de garder un filet de sécurité, notamment pour notre fille. J’ai également eu le soutien d’une personne qui m’assistait dans la gestion des premières étapes. Aujourd’hui, notre équipe directe compte une vingtaine de collaborateurs. En ce qui concerne les personnes placées chez nos clients, nous en comptons entre 200 et 400. Concrètement, j’ai signé des contrats pour plus de 400 personnes qui sont liées à notre structure. Cependant, au siège, nous travaillons avec une équipe d’environ vingt personnes.

De quoi a-t-on besoin pour se lancer dans ce genre de projet ?

Avant tout, je pense qu’il faut avoir la volonté de réussir. Il faut oser, se dire : “Oui, je peux le faire.” L’entrepreneuriat n’a rien d’évident. C’est fait de nuits blanches, de sacrifices, surtout quand on jongle entre plusieurs rôles : mère, épouse, fille, sœur… Il y a énormément de responsabilités à gérer en même temps. Mais malgré tout, il faut oser, se lancer avec détermination. La volonté est essentielle. Si l’on s’imagine pouvoir gagner beaucoup d’argent sans effort, ou avoir des horaires de sommeil confortables, on se trompe complètement. L’entrepreneuriat, c’est aussi accepter de traverser des périodes difficiles. Il y a eu des moments où nous ne dormions pas pendant trois jours d’affilée. Il m’est arrivé de vendre moi-même mes sandwichs, d’aller faire mes achats à Tsaralalàna, de gérer personnellement l’approvisionnement pour la restauration. Il faut être prêt à s’investir pleinement, à tout donner pour espérer récolter les fruits de son travail plus tard. Et surtout, il faut avoir cet état d’esprit : “Oui, je peux le faire. Je vais le faire. Et je vais le faire avec qualité.” Il nous est arrivé plusieurs fois de faire des pertes. Financièrement, on peut se tromper sur les investissements, être pris au dépourvu par des imprévus. Mais quoi qu’il arrive, on en sort toujours avec un apprentissage. Chaque erreur est une leçon : si cette fois-ci je me suis réveillée à 7h, la prochaine fois, ce sera 5h. Si j’ai manqué une étape de préparation, la prochaine fois, je l’anticiperai.

Et au-delà de l’expérience, on gagne aussi en relations. En tenant notre engagement envers la qualité, même si nous sommes perdus financièrement sur le moment, nous bâtissons une réputation solide. Les clients satisfaits reviennent, parlent de nous à d’autres. C’est ainsi que, de fil en aiguille, nous nous retrouvons à signer avec des personnes que nous n’aurions jamais imaginé atteindre. Quand quelqu’un me dit : “C’est untel qui m’a donné ton contact”, je sais que j’ai bien fait mon travail. Finalement, même dans les moments difficiles, je sors gagnante : je gagne en expérience, je tisse des relations précieuses, et cela ouvre de nouvelles opportunités.

Pour vous c’est quoi entreprendre ?

Entreprendre, ce n’est pas se dire qu’on va gagner des millions du jour au lendemain. C’est un travail de longue haleine, qui demande énormément de discipline. L’entrepreneuriat, c’est une vie de rigueur. Lorsqu’on s’engage auprès d’un client, on doit tenir parole. Si on promet un retour aujourd’hui, il doit être fait aujourd’hui, sinon on risque de perdre ce client. Et perdre un client, ce n’est pas juste une perte individuelle : cette personne connaît probablement dix autres personnes dans des grandes entreprises ou des PME. Une réputation peut vite se faire… ou se défaire.

C’est pourquoi discipline et engagement sont des valeurs fondamentales. Avant de voir les résultats, il faut affronter une multitude de défis. Mais avec le temps, les efforts finissent par payer. Par exemple, quand j’ai commencé avec mon premier client en portage salarial, j’avais seulement cinq personnes à placer. À ce moment-là, ma page Facebook venait d’être lancée avec à peine cinq abonnés. Je faisais de mon mieux pour répondre aux messages et gérer les entretiens. Beaucoup de candidats me disaient oui, mais au moment crucial, seuls cinq se présentaient, et parmi eux, seulement deux étaient réellement prêts, alors que mon client en demandait dix .

C’était un vrai coup dur. J’avais multiplié les annonces dans la presse, fait des efforts considérables, sacrifié mes nuits… et au final, je n’avais que cinq personnes. Mais j’ai continué à persévérer. Et aujourd’hui, un an plus tard, ce même client compte 200 employés placés par mon entreprise. Comme quoi, avec du travail acharné, les résultats finissent toujours par arriver.
Qu’est-ce qui vous a permis de tenir jusqu’au bout ?

Personnellement, je suis croyante, et je pense que c’est surtout Dieu qui m’a énormément aidée dans ce parcours. C’est lui qui m’a donné la force et la volonté, et souvent, il m’inspire des idées la nuit, comme un éclair de génie, et ça fonctionne. Pour ceux qui y croient, c’est une source de soutien inestimable. Pour ceux qui n’y croient pas, je dirais que c’est la volonté qui fait la différence. Mais au-delà de cela, le soutien de la famille est aussi essentiel. Mon mari a toujours été là pour me soutenir, même dans mes idées les plus folles. Il n’a jamais douté de moi. Ma fille, elle aussi, est une source incroyable de motivation. La voir sourire après une journée difficile et se rappeler que je fais tout cela pour elle, mais aussi pour moi, ça me donne une force immense. Avant tout, j’aime ce que je fais, mais le soutien de Dieu, de mon mari, de ma fille et de mes proches, c’est ce qui me permet de tenir bon.

Avec une charge de travail aussi importante, n’aurait-il pas été plus simple de rester salariée pour mieux concilier la vie professionnelle et familiale ?

Je ne dirais pas. C’est un choix personnel entre l’entrepreneuriat et le salariat, mais pour ma part, je n’avais pas vraiment d’autre option. Quand j’étais encore salariée, je me voyais mal jongler avec mes responsabilités de maman. Au début, il y a les vaccins mensuels, les contrôles réguliers, et un bébé qui n’est pas toujours en forme. Je me voyais mal demander constamment : “Est-ce que je peux partir, s’il vous plaît ?”. Et ma fille refusait le biberon, ce qui a rendu les choses encore plus difficiles pour moi. L’idée de la laisser sans pouvoir la nourrir comme elle en avait besoin m’a vraiment perturbée. Il était évident pour moi que je devais être présente pour elle. C’était une priorité de pouvoir m’occuper d’elle et de la nourrir, même si ça signifiait quitter mon travail. Au départ, je n’avais pas réfléchi à l’entrepreneuriat en tant que tel. J’ai juste pris la décision de quitter pour pouvoir être là pour ma fille.

L’entrepreneuriat est venu un peu plus tard, mais il a apporté de nombreux bienfaits. On gagne en liberté, notamment en termes de gestion du temps. Bien sûr, la discipline est toujours de mise, mais avec un peu plus de flexibilité. Par exemple, je peux déjeuner avec ma fille à midi, prendre le petit déjeuner avec elle le matin, ou même quitter le travail à 16h si elle a vraiment besoin de moi. Quand elle est malade, je n’ai plus à demander la permission à qui que ce soit pour prendre une journée pour m’occuper d’elle. Je n’ai pas à justifier le fait que je dois être là pour elle, à l’accompagner et la soutenir, pas nécessairement en l’amenant chez le médecin, mais en étant simplement là pour elle. Pour moi, ça a été un choix judicieux de me lancer dans l’entrepreneuriat, même si ce n’est pas toujours facile.

Est-il plus difficile pour une femme de se lancer en entrepreneuriat que pour un homme ?

Je suis d’accord avec vous sur le fait que la femme porte souvent plus de responsabilité, surtout en tant qu’épouse, mère, et parfois même dans sa communauté, en plus de ses obligations professionnelles. Cela peut effectivement rendre les choses plus difficiles, encore plus à Madagascar, où les attentes sont élevées et les stéréotypes de genre encore bien présents. Cependant, je crois aussi que la clé réside dans la volonté de réussir et de briser ces barrières. Comme vous avez pu le constater, le dossier à fournir pour une femme et un homme est le même pour démarrer une entreprise, et la différence se fait dans la détermination. Il y a indéniablement eu une évolution, et aujourd’hui, plus de femmes réussissent dans l’entrepreneuriat. Elles ouvrent la voie et prouvent que les femmes sont capables de réussir, voire de mieux réussir, dans des domaines parfois dominés par les hommes. C’est une belle avancée, même si la société n’est pas encore complètement libérée des préjugés.

Est-ce que vous vous considérez comme un modèle pour les femmes qui vous entourent ?

Je pense que, même si on ne se pose pas la question, on représente déjà un modèle en soi. Le simple fait d’être entrepreneure, de gérer une équipe, de faire avancer des projets tout en étant une mère de famille, montre que nous incarnons cette résilience et cette capacité à jongler entre différents rôles. On fait sans doute une différence dans la vie de celles qui nous suivent et travaillent avec nous.

Quant à la dynamique de notre équipe, nous prônons l’égalité et l’esprit du “girl power”. Les femmes sont souvent plus organisées et apportent une énergie positive, tandis que les hommes, sont plus carrés. C’est cette complémentarité qui peut vraiment créer une dynamique forte et équilibrée au sein de l’entreprise. C’est aussi un bel exemple de ce que peut être une entreprise inclusive et respectueuse des talents de chacun, peu importe leur genre.

Quel conseil donner aux femmes qui veulent se lancer en entrepreneuriat ?

Il faut travailler dur, c’est incontestable. Est-ce qu’on a besoin d’argent pour entreprendre ? Oui et non. Je ne dirais pas qu’il faut absolument partir de zéro, car ce n’est pas la réalité pour tout le monde. Mais ce qui compte vraiment, c’est la volonté. Quand la volonté est là, on est prêt à chercher des solutions partout, sans se limiter. Cela peut venir de la famille, des amis, ou même de l’entreprise elle-même. Parfois, il y a des comptes à payer, des sacrifices à faire, mais l’essentiel est de rester déterminé.

Il faut être transparent aussi. On peut dire franchement : “Je veux investir avec vous, mais je n’ai pas encore tous les moyens.” L’honnêteté peut ouvrir des portes. Quand les gens voient que la volonté est présente et qu’on mérite leur confiance, il y a toujours des personnes prêtes à aider, surtout quand elles voient qu’on veut vraiment réussir. Il ne faut pas se limiter à la question financière. C’est important, bien sûr, mais c’est le dernier élément du puzzle. Ce qui compte avant tout, c’est de savoir où l’on veut aller, ce que l’on veut vraiment faire, et surtout, de s’engager à fond dans ce projet. Une fois que l’on est déterminé, tout le reste finit par suivre.

Propos recueillis par
Nambinina Jaozara

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