Accès à l’eau: les usagers des bornes-fontaines paient plus cher

A Antananarivo, les bidons jaunes, tout comme le “kapoaka” pour le riz, sont devenus un symbole incontournable de l’accès à l’eau. Depuis le début de la pénurie, ils sont partout : dans les ruelles, sur les charrettes, dans les foyers, au service des citoyens. Pourtant, selon Hajarison Randriamanarivo, coordonnateur des projets Eau et Planification auprès de la Jirama, les usagers qui s’approvisionnent en eau via les bornes-fontaines en utilisant ces bidons paient jusqu’à cinq fois plus cher que ceux qui sont directement raccordés au réseau de la compagnie.

“Actuellement, le coût de production opérationnel d’un mètre cube d’eau est estimé à 1.600 ariary. Pourtant, la Jirama le vend à 1.000 ariary, ce qui représente une perte de 600 ariary par mètre cube.” Ces explications ont été apportées par Hajarison Randriamanarivo, coordonnateur des projets Eau et Planification au sein de la Jirama, lors de la remise de prix Cobaty, tenue le 16 mai à Anosy. L’événement a été marqué par une table ronde consacrée à la problématique de l’eau dans la capitale. Ressource vitale, l’eau ne concerne pas seulement les ménages, mais impacte également de nombreux secteurs d’activité, notamment le bâtiment et les travaux publics.

La Jirama affirme vendre l’eau à perte et justifie l’application du prix social destiné aux ménages malgaches. Paradoxalement, selon la compagnie, les usagers qui s’approvisionnent aux bornes-fontaines paient, au final, plus cher que ceux disposant d’un branchement direct à domicile. Le tarif appliqué est de 1.000 ariary pour 1.000 litres d’eau, soit bien moins que le prix d’une bouteille d’un litre vendue à 2.500 ariary, précise Hajarison Randriamanarivo. “Je pense que pour les pouvoirs publics, c’est une équation difficile à résoudre : il faut garantir l’accès à l’eau pour tous, en tenant compte des revenus que nous connaissons à Madagascar. Le problème, c’est que ceux qui ne sont pas raccordés au réseau, souvent les plus modestes, paient en réalité beaucoup plus cher. Ils achètent l’eau entre 50 et 100 ariary le bidon de 20 litres, soit deux à cinq fois le prix payé par ceux qui ont un branchement à domicile. C’est la réalité aujourd’hui.” A en croire le responsable, un foyer qui utilise des bidons jaunes et s’approvisionne au niveau des bornes fontaines paie donc 5.000 ariary au lieu de 1.000 ariary pour 1.000 litres d’eau.

Un écart qui se ressent dans le quotidien, notamment pour les abonnés des bornes-fontaines. Selon les statistiques présentées lors de la table ronde, 95% de la population d’Antananarivo ont accès à l’eau potable via la Jirama. Parmi eux, 35% disposent d’un branchement individuel, tandis que 63% s’approvisionnent par le biais des bornes-fontaines. En ce qui concerne la coupure d’eau, 44% des citadins souffrent d’un accès insuffisant à l’eau. Pour certains, l’eau n’est disponible que la nuit, pour d’autres, elle manque jour et nuit, ce sont ceux qui se trouvent en zone rouge.

Dans ces situations, les bidons jaunes viennent à la rescousse. “Nous gérons un centre qui accueille une trentaine d’enfants. Ici, dans notre commune, les coupures d’eau sont fréquentes. Nous sommes donc contraints de nous approvisionner auprès de porteurs d’eau. Le tarif dépend du prix du bidon et de la distance à parcourir. En moyenne, nous payons 600 ariary par bidon. Or, pour faire fonctionner notre cantine à midi, il nous faut au moins 20 bidons par jour”, témoigne une responsable d’un centre situé dans la commune d’Itaosy. Cette dernière ajoute qu’en plus de ces frais, le centre doit également s’acquitter de la facture de la Jirama, ce qui alourdit encore davantage les coûts.

Problème de gestion

A Madagascar, seulement 54 % de la population ont accès à l’eau potable. A Antananarivo, le besoin quotidien est estimé à 300.000 m³, alors que la production actuelle ne dépasse pas 200.000 m³ par jour. Un déficit de 100.000 m³ qui creuse les inégalités d’accès à l’eau. Pourtant, selon les experts réunis lors de la table ronde le 16 mai à Anosy, la pénurie d’eau n’est pas un problème d’eau en soi, mais plutôt un problème de gestion. “Il y a de l’eau disponible. Par exemple, la rivière Ikopa fournit un débit de 1.500 m³ par jour, la Sisaony 62.000 m³/jour, et les eaux souterraines représenteraient environ 25.000 m³/jour, selon les dernières études”, explique Hajarison Randriamanarivo.

Mais un cercle vicieux freine tout progrès. D’abord, l’état des infrastructures qui est alarmant. Environ 90% des installations actuelles sont vétustes. A Antananarivo, la majorité des infrastructures de production et de traitement de l’eau datent des années 1950, certaines remontant même à 1923, il y a plus de 100 ans. Et pourtant, ce sont toujours ces équipements que la Jirama utilise aujourd’hui, sans dispositif de secours. Autrement dit, lorsqu’un moteur tombe en panne, la production est interrompue jusqu’à sa réparation.

Par ailleurs, 70% des canalisations en service ont plus de 30 ans, ce qui complique l’acheminement de l’eau vers les quartiers situés en hauteur. Les fuites sont nombreuses, notamment dans les conduites souterraines. Et ce n’est pas tout : 60% des réservoirs disséminés dans la capitale ne sont plus fonctionnels. Dans certains d’entre eux, il n’y a même plus une goutte d’eau.

En cause : le manque d’investissements et l’absence de maintenance des infrastructures. Résultat : une qualité de service médiocre, qui pousse les usagers à rechigner à payer – surtout à un prix jugé élevé pour une eau de faible qualité. La Jirama vend actuellement l’eau à perte, aussi bien à Antananarivo qu’ailleurs dans le pays. Ce déséquilibre financier limite ses capacités à entretenir et développer ses réseaux.

Nambinina Jaozara

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